lundi 12 décembre 2016

"Lève-toi et marche" (Roman, Bernard Campiche Editeur, 2016)





 Qu’est-ce qui pousse Samuel, une jeune recrue accomplissant son service militaire, à quitter la caserne en pleine nuit, alors que ses camarades dorment autour de lui? La place est déserte, seuls les sapins montent la garde sur les collines, une rivière court dans le sous-bois. Commence alors une longue cavale dans la campagne vaudoise. Une traque qui nous fait découvrir l’envers du décor, la face cachée d’une Suisse tranquille et ordonnée. L’odyssée se poursuit sur des chemins parallèles, à travers des scènes vivantes, résurgences du passé, réminiscences, des paysages captivants, parfois troubles et obsédants, hantés par l’amour et l’abîme d’un sentiment. Quête identitaire et fuite de soi. Itinéraire existentiel ou déni d’une mort annoncée. L’histoire d’un déserteur, qui répond à un appel des origines: Lève-toi et marche, qui nous entraîne jusqu’au bout de ce voyage à travers soi, au milieu de nulle part. 

Sélection du Roman des Romands 2017-2018

Revue de presse (voir plus)


Singulier parcours


Lève-toi et marche est le cinquième ouvrage de Frédéric Lamoth. Une écriture riche et élégante, une maîtrise des rythmes et des séquences donnent à ce roman un élan et un souffle particuliers.
Samuel Jourdain quitte sans justification apparente l’école de recrues, qu’il subit quelque part en Pays de Vaud. Il quitte ce milieu militaire à l’aube pour marcher, marcher encore. Il décrit son périple et les rencontres qui lui sont offertes. On ne sait rien sur ses motifs, sinon qu’il considère comme impérieux de s’éloigner de cet endroit, de ce milieu qui sans doute l’oppresse. Au fil des pages, on comprendra mieux comment il fonctionne, dans ce qui ressemble à une quête existentielle, fruit de carences ressenties dans son enfance et d’un événement qui l’a profondément marqué. Le pouvoir évocateur de l’écriture de Lamoth est constant et fort. Les passages au cours desquels il décrit la vie militaire et la sottise proverbiale du cadre moyen ou supérieur trahissent le vécu. Court, mais divisé en dix-sept chapitres, le roman de Lamoth comprend tous les trois ou quatre chapitres une sorte d’intercalaire de quelques pages intitulé «Parallèles». Cette construction, qui juxtapose parfois les événements passés et le récit au présent a sans doute été pensée comme une sorte de miroir, parfois partiellement embué, qui dirige le réflexion du personnage principal dans sa quête. Ne dit-on pas aussi que les parallèles ne se rejoignent qu’à l’infini? Tonique, pudique, et rempli d’humour dès qu’un uniforme entre en scène.


OLIVIER GFELLER
, L’Omnibus
 
La fugue champêtre de Frédéric Lamoth

Une nuit, la recrue Jourdain, se lève, quitte la caserne et s’en va

C’est un conte d’été, une fantaisie, une évasion que ce Lève-toi et marche, roman de Frédéric Lamoth, au titre bizarrement biblique. S’il fallait y lire des références, plutôt que vers Lazare, on pencherait du côté du «frais cresson bleu» du Dormeur du val ou vers le «triste cœur de caporal» d’un certain Arthur Rimbaud. À l’auteur des Illuminations, Frédéric Lamoth dérobe une poésie des champs, de l’herbe, de la nuit, des rivières et de la liberté; mais aussi une sorte de dégoût potache, mêlé de curiosité, pour la chose militaire, l’École de recrues, en l’occurrence.
Lève-toi et marche est le cinquième roman de Frédéric Lamoth, qui a signé, depuis 2003, La Mort digne, Les Sirènes de Budapest, Orion et Sur Fond blanc chez Bernard Campiche. L’intrigue de Sur fond blanc était construite tout en oppositions, en noir et blanc, en hauts et bas, en masculin et féminin, voici un récit qui, au contraire, éclate de couleurs, qui s’amuse, qui se déploie plus horizontalement.

Alarme

L’intrigue est toute simple. Samuel Jourdain (encore un nom biblique) est à l’école de recrue quelque part en Suisse romande. Mais une nuit, soudain, appelé par on ne sait quoi – mais ni par la patrie ni par le drapeau – le soldat Jourdain se réveille, se lève, et s’en va dans la nuit, dans les forêts, dans les champs. Il fait défection. Tout lui revient par bouffées. La fraîcheur, les foins coupés, les amours, l’enfance. Il croise quelques personnes, mais ne s’attarde pas. Il s’en va par les chemins.
Pendant ce temps, à la caserne, c’est l’alarme. Frédéric Lamoth s’offre quelques scènes un peu potaches, ironiques, en demi-teintes. Parfois on tourne un peu en rond, une sorte de brume enveloppe l’intrigue qui se dérobe un peu au lecteur. Du livre on retiendra surtout la lumière, le bonheur enivrant des sous-bois, la campagne triomphante, l’envie de s’en aller en envoyant tout valser par-dessus les champs.


ÉLÉONORE SULSER
, Le Temps



Né en 1975, médecin, Frédéric Lamoth a déjà quatre romans à son actif. Ce qui caractérise ses livres, c’est une atmosphère d’étrangeté, parfois même onirique. Le lecteur peut s’y sentir au début un peu perdu, même si les choses s’éclairent en cours de récit.
Samuel Jourdain – dont le titre aux consonances bibliques n’est pas le fruit du hasard – est une jeune recrue des troupes blindées de l’armée suisse. À sa septième semaine, il décide de déserter, sans que les motifs de cet acte n’apparaissent jamais clairement.
Là aussi, on va trouver des chapitres en alternance. Les uns racontent sa cavale à travers des paysages vaudois, pérégrination dans une ascèse forcée marquée aussi par des rencontres. D’autres chapitres mettent en scène ses officiers, inquiets de cette fuite ou s’interrogeant sur leur métier de militaires professionnels, ou encore les camarades recrues du fuyard. L’atmosphère militaire, que beaucoup de nos lecteurs ont sans doute connue, est bien décrite, avec ses lourdeurs, ses règlements tatillons, ses rites, cependant sans que l’auteur n’en fasse une caricature. Enfin des flash-back restituent l’enfance de Samuel, aux côtés de son petit frère Joël gravement malade.
Peu à peu va se révéler un drame familial. Est-ce le souvenir de celui-ci qui a poussé Samuel à «partir», le seul mot qu’il trouvera pour expliquer son geste? Le roman vaut aussi pour sa langue châtiée, par moments à la limite de la préciosité. Et comme les œuvres précédentes de Frédéric Lamoth, il baigne dans une atmosphère à la fois religieuse, dont témoigne son titre, et musicale, tandis que rôde toujours la présence de la mort.

PIERRE JEANNERET
, Domaine public, No 2144


«Lève-toi et marche!», cela pourrait être un ordre donné par un supérieur à ses soldats. C'est pourtant à une autre autorité, à la fois incompréhensible et inquiétante qu'obéit Samuel Jourdain, une jeune recrue, lorsqu'il se lève au milieu de la nuit et quitte le dortoir où ses camarades sont endormis, entamant une marche dont il ignore le sens, la direction et le but.
Ce séisme minuscule à l'échelle de l'univers, gigantesque à l'échelle humaine, va ébranler toutes les fragiles institutions que les hommes érigent depuis toujours pour apprivoiser le vide et l'absurde. Au sein de l'armée encore plus que partout ailleurs. Le major Trottaz, responsable de Samuel, sait «qu'on ne sait jamais de quoi est capable celui qui fait ça», que tout ne se règle pas par l'autorité, qu'il faut de l'intuition pour apprivoiser ce que l'on ne peut maîtriser et que cela ne s'apprend pas.
Qui est-il, d'ailleurs, ce garçon, ce Samuel fugueur? Un illuminé, un fou ou un être humain qui affronte ses blessures les plus secrètes: réminiscences d'un jeune frère mort trop tôt, sensibilité exacerbée qui lui fait ressentir la plus légère émotion de ses compagnons, intuition vertigineuse des gouffres de l'existence...
La quête où s'est lancé Samuel lui fera-t-elle comprendre que «la nuit est toujours trop exiguë pour y trouver refuge». Et que l'homme finit toujours par avoir peur et souhaiter qu'on le trouve.

ANNE-MARIE CORNU
, Roman des Romands

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